Epître aux saltimbanques

Épître aux saltimbanques

Ô fatale infortune! Ô funeste fléau,

de notre insouciance implacable bourreau!

Sur nos désirs enfuis, nos volontés éteintes,

ton ombre maléfique estampe son empreinte!

Hydre aux gueules sanglantes, aux appétits infâmes,

tu te repais des corps tout autant que des âmes!

Cent fois l’on nous promit ton extinction prochaine!

Cent fois tu resurgis plus farouche et malsaine!

Assourdies du tocsin d’alarmes délétères,

nos vibrantes envies essuyaient maints revers.

Ne souhaitant prolonger une attente illusoire,

ni surtout épuiser des énergies si rares,

quelques de nos compères, enhardis par l’urgence,

osèrent provoquer nos inquiètes instances

à bientôt confesser la terrible sentence:

de nos festivités la trop proche échéance,

à leurs préparatifs les multiples obstacles,

décidèrent la ruine de notre spectacle.

Pour sûr, compagnons, tous prévenions en nos cœurs

l’annonce fatidique. Néanmoins à cette heure

où le couperet tombe, entraînant vers l’abîme

nos alléchants projets, nos ambitions ultimes,

c’est bien le goût amer d’un morose regret

qui s’en vient envahir nos suaves palais.

Seraient donc révolus ces si riants moments

qui mêlaient aux duels les ballets édifiants,

les arches, les chapeaux, les palmes, les rubans,

et les astres, les roses, et les livres géants,

fruits de tant de talents conjugués par le zèle

d’une troupe fervente, enthousiaste et fidèle?

Hardis fiers histrions, tels heureux souvenirs

jamais ne se verront condamnés à périr!

Au contraire il seront la source de jouvence

où puiserons la fougue d’une Renaissance!

                                                                                                                  Rodolphe – mars 2021